Il y avait toujours ce moment dans la vie où il fallait prendre des risques. Dans le cas d’Astrid en prendre était toujours relié à son métier. Après tout, être militaire venait le plus souvent avec des missions qui n’étaient pas de tout repos. Maintenant devenu civil, la tatoueuse découvrait de nouvelles façons de bouleverser son quotidien et de se dépasser. Elle ne mettait plus sa vie en danger, elle se confrontait tout simplement à son passé. Les paroles de Markus tournaient encore et encore dans sa tête. Etait-elle réellement le problème ? Se complaisait-elle réellement à rester enfermer dans sa prison de peur ? N’avait-elle donc fait aucun progrès dans l’année qui venait de s’écouler ?
En se réveillant ce matin-là, Astrid n’avait qu’une seule idée en tête : parler de son histoire. Puisque celui qu’elle considérait comme son meilleur ami travaillait à rapporter les faits de guerre : elle allait lui en donner. Elle allait fournir à Markus des histoires sur les atrocités d’un conflit. L’envers, du décor et ses antagonistes. Elle n’en avait jamais parlé. A quiconque, une fois seulement au psychologue de l’armée. Brièvement, passant tous les détails. Elle n’avait pas envie qu’on la prenne en pitié, qu’on la regarde différemment. Elle voulait juste passer à autre chose, même si elle constatait aujourd’hui qu’elle ne pourrait jamais complètement tourner la page. Alors, elle était bien décidée à raconter tout ce qu’il s’est passé. Du départ du camp, jusqu’à la libération par l’Armée de son lieu d’emprisonnement. S’il était sage, elle avouera même que l’état-major lui a demandé d’être le plus discret possible sur les conditions de son emprisonnement. Elle pourrait même expliquer comment les blessés de guerre sont depuis les débuts des conflits mondiaux des cobayes pour la médecine.
En rendant ce genre de choses publiques, il y avait toujours le risque que malheureusement, les réseaux sociaux s’en emparent et déforment tout. Markus lui ne déformerait pas la réalité. Astrid avait confiance en lui. En y réfléchissant… Elle espérait que le discours qu’il a tenu était né de la colère qu’il portait en son sein concernant le traitement des traîtres. Que sa rage n’était pas tournée exclusivement sur elle, mais aussi sur les autres qui avaient voté l’exécution des cinq traîtres. Elle ne voulait et ne pouvait pas imaginer un seul instant que celui qui avait partagé son quotidien sur le terrain puisse être à ce point moralisateur et aveugle quant à la souffrance qu’elle portait en elle comme un fardeau.
Ressortant son uniforme, elle le posa sur son lit et contempla ce dernier. Avec sa main gauche, elle caressa son nom de famille, puis son grade et enfin la médaille qu’elle a eue à son retour. Des décorations que ses camarades ont emportées dans leur tombe. Astrid serra les dents avant de passer longuement sa main sur son visage. Elle devait crever l’abcès. Elle devait parler. Montrer à Markus qu’elle était prête à faire des efforts si lui aussi en faisait. Donnant, donnant. Aujourd’hui : il fallait garder ses amis près de soi n’est-ce pas ? La dispute qu’elle a eue avec Gattaca après les exécutions n’étaient pas passée inaperçu et cela avait gêné Nightingale qu’il lave leur linge sale en public. Il y avait une façon de le faire. Pourtant, elle était prête à faire le premier. Car à ses yeux, ils avaient trop vécu ensemble pour se déchirer de la sorte. La vie était courte. Encore plus lorsque vous êtes un jour de DG.

Astrid enleva la médaille pour soigneusement la remettre dans son écrin qu’elle glissa dans son sac. Elle ne voulait pas s’habiller avec les vêtements de l’armée. Elle entreprit d’attacher ses cheveux en un chignon parfait par réflexe puis elle laissa ces quelques mots à Colin :



Elle caressa une dernière fois Max et partit de chez elle. (…) Regardant le bâtiment avec appréhension, elle se mit à trembler. Il y avait quelque chose de terrifiant à l’idée de parler de choses qu’elle n’avait jamais dites à personne. Elle se racla la gorge, prit une grande inspiration avant de claquer ses rangers sur les marches et rentrer sur le lieu de travail de son ami. Elle sortit ses papiers militaires et les tendit à la dame derrière le bureau. « Bonjour, je suis le Lieutenant Astrid Jallek et je viens voir Markus Kapel. –Vous avez rendez-vous ? » Astrid arqua un sourcil : « Non. –Alors vous devez appeler ce num… » Le Lieutenant frappa de son poings le bureau de l’accueil : « J’appellerai personne compris ?! Je suis allée en OPEX avec Monsieur Kapel et j’ai protégé ses miches, alors ce n’est certainement pas une secrétaire qui va m’empêcher de le voir. » La jeune femme soutien du regard Astrid puis prends finalement le téléphone : « Monsieur Kapel, j’ai le Lieutenant Astrid Jallek à l’accueil, elle souhaite vous voir. » Silence. « Bien. » Elle raccroche et regarde le soldat en lui rendant ses papiers : « Vous pouvez y aller. » Astrid sourit : « Merci. Bonne journée. » Elle tourna les talons et s’engouffra dans le couloir qu’elle lui avait indiqué. S'arrêtant en voyant l'open-space : elle sentit l'air lui manqué. Elle serra les poings, reprit une grande inspiration et chercha du regard celui qu'elle était venue voir. Elle s'approche de son bureau : « Même le président est plus facile à voir, tu le sais ça ? » Une remarque comme les autres. Elle passa sa main dans ses cheveux. « Je suis venue te donner un scoop. Mon histoire. Ce qui s’est passé. Je n’en ai jamais parlé à quiconque. » Astrid se plongea dans le regard de Markus. « Pour qu’on se comprenne enfin toi et moi. »