Dans le bleu de l'absinthe. (BLISS)

DANS LE BLEU DE L'ABSINTHE.

Céleste & Bliss.

Je lève les yeux vers le bâtiment qui est face à moi. J’inspire un grand coup, quelque peu angoissée – et ça, je ne peux pas l’accepter. Je tire un peu sur mon t-shirt, remarque seulement maintenant que le décolleté est trop plongeant pour un « entretien d’embauche », mais je me dis que après tout ce temps d’hésitation, je n’avais pas le droit de me trouver des excuses pour ne pas rentrer dans la bâtisse. La pluie commence à tomber et elle est là comme pour me dire de me bouger le cul et de ne pas rester immobile éternellement. Je me rappelle alors enfin que le monde, lui, tourne – et avec, le temps. Je prends mon téléphone qui affiche 23h et je me dis qu’il est temps. Une dernière inspiration est lancée dans le vent et je pousse la porte pour rentrer dans l’endroit quelque peu sombre mais animé par des lumières de couleurs et une musique rythmée par des basses un peu trop fortes.

Mes yeux tombent sur une danseuse qui s’élance majestueusement sur le sol. Elle me fait penser à un oiseau salement enfermé dans une cage qu’il essaie désespérément de l'ouvrir. Il y a de la beauté dans cet enfermement, dans cette fatalité presque silencieusement acceptée. Mais j’ai l’impression de me voir dans ce spectacle, et je préfère détourner le regard vers la première personne travaillant ici pour pouvoir aller l’aborder. Je marche donc de façon quelque peu bancale – le stress me ronge les articulations – et pose ma main sur l’épaule de l’inconnue. Main que je retire promptement en réalisant que ce geste est quelque-peu déplacé. Je plonge donc mes dix doigts dans mes poches, comme pour leur aviser de ne plus s’aventurer partout sur le corps de la femme face à moi.

- Ex-. Excusez-moi.

T’es ridicule, j’me dis. Dans le jeu, tu ne serais pas comme ça, j’réalise. Dans le jeu, tu l’aurais bien bousculée pour qu’elle se souvienne de toi. Puis tu lui aurais sortie une tirade digne d’un putain de monologue tragique et elle aurait eu un mélange de pitié et d’admiration pour toi. Elle t’aurait embauchée, voire même baisée tellement t’aurais bien parlé. Mais là t’es juste qu’un pauvre roman pathétique et tu te noies dans ce pathos quelque peu timide – t’es ridicule, Céleste. Prométhée, elle, ne l’est pas. Car Prométhée, elle, n’existe pas – elle survit.

- Je suis ici car je… Je danse et j’aimerais savoir si je pouvais venir travailler ici.

Je ne l’ai pas remarqué, mais une de mes main s’est déjà échappée de ma poche et mon index gratte ma joue machinalement.

- Je bosse dans les bars depuis longtemps maintenant et je danse depuis que j’suis toute petite. Alors j’me demandais si y’avait moyen… J’suis vraiment motivée. Que ce soit pour commencer maintenant ou dans un mois.

Mes yeux se posent sur le visage de la demoiselle mais il est bien trop beau et je me sens obligée de laisser mon regard s’écraser sur mes godasses.

C’est bien la première fois que je me sens aussi perdue. Mais le manque de sommeil n’aide pas.
Alors, en réalisant combien je dois faire mauvaise impression sous cette forme quelque-peu timide de moi-même qui est loin de me ressembler, je lance un :

- En fait, je m’y suis vraiment mal prise là.

J’inspire un grand coup et essaie de rassembler mes pensées pour pouvoir enfin parler à nouveau comme je sais habituellement si bien le faire.

- Je reviendrai une prochaine fois je pense. Le temps que vous oubliez mon visage et ma piètre présentation. Un rire jaune saute de ma gorge mais doit être recouvert par la musique.

Dans le bleu de l'absinthe

Celeste et Bliss

Officiant aux platines, comme tout les soirs Bliss tentait de faire danser les fêtards de moins en moins nombreux chaque soir. Autour d’elle, ses danseuses évoluaient gracieusement sur la petite scène aux rythmes d’une musique de sa composition à l’ambiance sombre sur laquelle elle apposait sa voix éthérée. Si elle se forçait à venir chaque soir c’était pour ne pas sombrer dans la tristesse dans laquelle l’avait plongé sa rupture avec Alana et pour ne pas succomber à la tentation de jouer à Darwin Games.
A 23h, elle délaissa les platines faisant tourner une autre de ses chansons et descendit de la scène. Alors qu’elle allait se diriger vers le bar pour un verre bien mériter la jeune femme sentit une main se poser sur son dos, elle fit aussitôt volte face faisant voler sa longue queue de cheval platine faite à la va vite pour dévisager une petite blonde qui sembla soudain gêner par son geste.
- Salut fit Bliss en esquissant un petit sourire bien que le cœur n’y soit pas vraiment.
La jeune femme bafouilla une excuse avant de lui faire part de la raison de sa venue au club : la recherche d’un travail. La musicienne ne comptait plus le nombre de fois où elle avait vu franchir des femmes parfois mêmes des hommes franchir les portes de l’établissement plein d’espoir à l’idée de trouver un emploi et qui repartent parfois en larmes. Bliss eut un pincement au cœur en voyant l’air triste de la jeune femme face à elle qui n’osait même pas croiser son regard.
- Hmm, c’est à dire que … commença t-elle mais elle fut aussitôt couper par la jeune femme.
Elle la laissa terminer sa tirade avant de lui saisir le bras avec douceur.
- Je ne peux pas te promettre un emploi fixe hélas mais …j’ai une de mes danseuses qui est absente depuis un petit moment maintenant, tu pourrais peut être la remplacer un temps… jusqu’à ce qu’elle revienne, enfin … si ça te dit…Mais il faudrait que tu fasses un petit essai d'abord.
Au regard que lui lança la blonde, elle ne sut dire si celle ci elle allait la frapper au visage ou lui sauter dans les bras.