Sephy renifle une première fois.
Il ne pleure pas.
Mais il tremble.
La poitrine se soulève et s'abaisse au gré des souffles d'un vent pixelisé qui ravivent ses cheveux flavescents. L'enfant a peur, il pense à sa petite maman, sa petite maman qu'il a perdu trop jeune. Sephy pensait trouver du réconfort auprès des siens aujourd'hui, auprès des ATOM, sa famille en dépit de l'inclémence de Darwin. Mais Sephy n'aime pas lutter, il n'aime pas jouter. Non Sephy a trop souffert et dépérit d'une haine lancinante qui lui révolte l'estomac. Aujourd'hui, il n'aspirait qu'à s'enfuir. Partir. S'évader dans ce jeu de mirages et simulacres où tout est faux, où tout est sale. Mais le faible gosse avait omis qu'en quittant son pays des merveilles bien particulier et trop raide il s'était éloigné de son QG.
La rivière est large, et les couleurs bousillent le regard. Des mirettes humides trop habituées aux ténèbres et aux brumes meurtrières des cieux, des enfers de la forêt assassine. Des iris céruléens dévorés par les veines de sang injectés qui se heurtent à la rétine. Et le marmot se surprend même à s'entendre prier. Prier pour que même son frère détesté Fredian court le sauver ; court abréger le crève-coeur qui lui fait mal là, sous son thorax enfiévré qui peine à se soulever sous un torrent de frayeur enragée. Du coin de l'oeil effrayé il aperçoit une fleur aux pétales irisées. Des pistils qui s'échappent vers un ciel un peu trop dégagé. Il n'est pas prudent ; il n'est pas discret. Il est conscient qu'il pourrait se faire trancher la gorge par une flèche égarée, mais il ne sait plus, l'enfant. Il joue dans la cour des grands sans en accepter les risques et les pertes. Il s'estime privilégié, couvé par son statut d'enfant inerte.
Son corps vient s'échouer auprès d'une bicoque qui longe le cours d'eau. Sephy attrape une pierre voilée d'une mousse fraîche et il l'envoie valser à la surface de l'eau claire. Il se permet un repos ; sinon une odyssée vers l'ancien temps, là où son père chantonnait des comptines et l'embarquait en promenades des journées entières. Aujourd'hui, tout a changé. La métamorphose des années n'a rien laissé traîner sur son sillage. Comme les rêveries candides enclin aux pillages. C'est à lui qu'il pense quand il plonge et s'immerge presque entier dans cet océan de mère nature. Il s'écroule, il en oublie l'endroit inhospitalier ; il en oublie qu'à chaque nouvelle seconde il peut trépasser. Il en oublier que derrière ces arbres qui l'embastillent se terre l'acmé. Il s'éboule et se laisse flotter dans l'eau glaciale un instant ; bercé par la douce rancoeur ; berné par un environnement dévastateur. Les yeux se closent d'eux-mêmes. Et il n'est plus.
Première bouffée d'air. La poitrine suffoque.
Deuxième bouffée d'air. Les tympans tremblotent. Les deux paupières se dégrafent et se sèvrent l'une de l'autre.
Bang.
Le bruit venait de sa droite. Alors l'enfant sort son beretta volé quelques mois plus tôt. Et puis il refait surface. là. Derrière la cabane. Il est trempé le Sephy.
Et il pense à sa petite maman.

Sephy sent les larmes de la rivière lui fendre l'épiderme.
Il respire à peine ; parce qu'il a peur. Il a peur de faire du bruit, et de réveiller les démons qui l'encerclent et qui s'ennuient. Qui s'ennuient de sa naïveté fluette ; de sa démence coquette. Mais le marmot n'a plus rien à perdre. Ni mère ni âme nu fierté. Il a tout entraîné avec lui dans sa chute libre. Là aux entrailles de l'univers, au fond de cette épave mortuaire bâtie à même la terre à même l'enfer, là où on y a balancé le cadavre putrescent de sa petite maman. Sephy a compris que sa vie s'était achevée ici ; à ce point de non retour qui lui a inculqué la folie le doute et la frayeur d'une solitude qui le ronge à grande échelle. Alors il reste idiot à croire qu'un pays imaginaire fondé de barbare et de vandales assoiffés de sang coagulant au bout de chaîne hérissées est la solution à son deuil inconsolable. Incommensurable. Il ne cherche même plus à lutter ; simplement à survivre.
La flèche a froissé l'air ambiant trop étouffant trop enfiévrant collant tout contre sa peau arrosée de l'eau de la forêt factice et de ses sueurs directrices.
Il veut simplement fuir.
Fuir. S'immoler pour disparaître dans un nuage de pixels affolés. Parce qu'il comprend. Il comprend une fois encore que le passé renverse les cartes du jeu ; défonce les pions sur la table. Le Sephy est un déchet esseulé égueulé aux bord du gouffre et il ne peut lutter. Il comprend que la fille est là pour prendre sa revanche. Il sait qu'il est la créateur de la petite mort ; du mal insolent qui le rend soumis aux remords. Il sait qu'il aurait dû la sauver ce jour-là. La protéger l'excommunier du trépas. Mais il ne peut se sauver lui-même de vies en péril. Des vies humaines. Des grains de poussière égaré dans un océan téméraire et puéril. Il ne peut se sauver lui-même ; il ne peut sauver les autres.
Il a d'abord remarqué ses cheveux qui flottaient malgré eux derrière un arbre. Une crinière de flamme du feu de l'apocalypse qui lui dévoraient déjà les yeux. Les souvenirs. Les souvenirs se bousculent déjà par centaines dans sa petite tête d'ado indocile.

— Je suis Ivory. Je... J'suis désolé pour l'autre fois, je ne sais pas sauver les gens, j'ai trop peur vous savez. J'aimerais bien sauver quelqu'un mais j'sais pas faire ça moi... j'suis désolé. mais la voix s'éteint dans la pénombre naissante. Le faible Sephy ne se rend pas compte que l'arme se soulève d'elle-même et se braque droit devant son regard éteint de chien malfamé. Il avance. Il approche l'enfant apeuré. Il ne sait plus ce qu'il fait. Alors il approche toujours un peu plus hanté par ces nuits noires dévastatrices comme celles où il ne fermait pas l'œil et suintait à grosse goutte de l'acmé de sa génitrice. Il se lamente dans un silence dérisoire. Un silence qui s'abat comme le soir. Mais le pied s'enlise dans une ronce furibonde. Il se rattrape sans élan et le corps part comme une grenade sans amorce ; un coup de canon, une bombe. Le Sephy a peur quand il sent le sang qui dégouline en fin sanglot le long de sa propre chair, il vient de se tirer dans la main droite. Celle qu'il avait de libre qu'il a jeté en avant pour se retenir. Et l'épiderme a flirté avec l'impact sans la laisser intacte. Le môme pleure un peu.
Il a gaspillé une balle ; et il a le poignet saigné.

50 places vie 08/10

FUIS. FUIS. FUIS.
ALLER BOUGE-TOI,SEPHY.
Mais les pieds ne bougent plus. Le Sephy se raccroche à la vie, à l’espoir que quelque chose va apparaître pour l’aider. Une nuée d’oiseau, des corbeaux, des corbeaux noirs ténèbres. Le môme s’en moque bien qu’ils se nourriront de sa propre chair après s’être occupés d’elle ; mais il préfère penser à cette option plutôt que de subir la vengeance d’une veuve noire en mal de haine.
La main est vermeille et la plaie béante t’ouvres les entrailles trop faibles pour lutter. Trop faibles pour jouter. L’enfant aux mèches décolorées n’est pas venu ici pour se battre, aussi loufoque que la situation puisse paraître. Il ne veut pas tuer. Il ne veut pas mourir. Il veut juste s’inonder de cet univers de pixels erronés. S’oublier lui en temps que Rothschild et ne plus penser qu’à sa famille virtuelle ; pas la disgracieuse qui lui a fait perdre sa vie, ses ascendants. Sa petite maman.
Ses deux yeux s’inondent de sanglots ravalés aux portes des cieux. La blessure est affreuse. Non, Sephy ne peut plus lutter. Il ne veut pas la tuer. Mais la belle aux cheveux de flammes n’entend pas ses prières pensées aux méandres de son crâne. Pourquoi a-t-il voulu venir s’échouer ici ? Pourquoi a-t-il fallut que ce soit lui. Lui qui a si peu vécu et trop souffert.
RÉVEILLE-TOI. Mais l’arc est déjà bandé vers lui. Il peut périr là au milieu de cette cabane coquette qui lui rappelle son enfance. Quand il goûtait encore au sucreries que ses sœurs lui achetaient. Mais le temps n’est plus aux amusements et aux bouffonneries ; et l’enfant se relève bien comme il peut. Il tâche de ne pas regarder sa main. Non, pas cette main. Il tonne contre lui, il s’insulte et se traite d’idiot. Quel guerrier il fait dans cette absurdité de Darwin sans la moindre pitié. Même les lapins dans la forêt ne le craignent pas. Personne ne le craindra jamais, et c’est pour ça qu’il s’égare tous les soirs dans une drogue qui se fiche bien de l’organisme qu’elle empoisonnera.

– Je n’aurais pas pu vous aider, j’avais rien avec moi... il tente de se convaincre lui-même qu’il n’a pas de sang d’inconscient sur les mains. Il lutte contre un séisme trop fort sur l’échelle de Richter. Il ne peut pas se faire croire ces mensonges abrutis. Il aurait pu la sauver. Il aurait dû la sauver. Mais le coup part seul. Solitaire. Il masque sa voix d’angelot déchu. Il ne comprend pas. Il ne sait pas. Ce foutu pistolet. La rouquine tonne, grogne ; Sephy l’a atteinte. Sephy va la tuer. De ses propres mains cette fois. Et il se demande s’il sera pardonné par le seigneur et par elle s’il reste à ses côté aujourd’hui. Le temps d’un pardon, le temps d’une agonie. Alors sans réfléchir l’enfant se dirige vers elle ; son ennemie, l’étrangère qui l’intrigue autant qu’elle lui fait peur.

Mais le coup est vif, et tranchant.
L'enfant a les entrailles en sang.

50 places vie 03/10