Elle avait travaillé tard la veille, mais cela ne l'avait pas empêché de venir dès l'ouverture des visites à l'hôpital. Elle lui avait promis quelques jours plus tôt de venir la voir car cela faisait longtemps qu'elle n'était pas venue à vrai dire. Mais entre la fac, ses jobs et le jeu, Ava ne trouvait plus le temps de rien. Et puis il y avait son père, qu'elle devait toujours déconnecter de force pour l'obliger à manger, se maintenir en vie, lui qui ne jurait plus que par le jeu et reniait complètement la réalité depuis que sa mère était morte.

C'était il y a un mois.

Elle l'avait enterrée, seule avec son père, et n'avait pas pleuré. Pas une seule larme, comme si la savoir morte était finalement plus un soulagement qu'un prétexte à vouloir la suivre. Si elle l'avait aimé un jour, Ava ne l'avait jamais su. Pas une once de fierté quand elle ramenait de bonnes notes, pas une once de sympathie lorsqu'elle trimait pour combler le trou que sa mère faisait en boisson et autres vices. Rien, pas un merci. Ava n'avait été qu'une excuse pour recevoir de l'argent des whitehill. Mais quand même. C'était sa mère.

Assise en face de sa chambre, une infirmière lui avait dit que son amie était partie en soins dès son réveil, et qu'il lui restait encore du temps à y passer. Un temps qu'Ava avait décidé de prendre pour elle, afin de patienter, comme elle le faisait rarement. Aucun des magazines nonchalamment jetés sur la table basse près d'elle ne lui faisait de l'oeil, alors elle s'était mise à observer les gens autour d'elle, silencieuse. Certains travaillaient ici, d'autres non, et si avant l'on patientait aisément ici, à présent tout le monde semblait pressé : yeux rivés sur leurs montres, mains qui tremblent. Ava n'était pas des leurs, le jeu, elle réussissait encore à le différencier de la réalité et des vrais enjeux de celle-ci. Tout ça parce qu'elle n'y jouait que pour convaincre son amie d'en sortir car la vérité était bien là : les soins duraient de plus en plus de temps car elle était de plus en plus fatiguée. Avancée du cancer ou effets du jeu, Ava avait son avis bien tranché : tout était de la faute de Riley. Et alors que pour l'énième fois cette pensée lui traversait l'esprit, Ava leva les yeux pour en rencontrer à l'autre bout du couloirs deux bien familiers : Riley.

Elle détourna immédiatement le regard pourtant le mal était déjà fait. Elle l'avait vu, le contraire était tout aussi vrai. Un "oh non" discret lui échappa dans un murmure alors qu'elle cherchait où poser son regard à présent. Visiblement, elle n'était pas la seule à s'être levée tôt pour venir lui rendre visite ce matin.

Les cernes se font plus larges sur son visage de poupée, il semblent s'incruster dans sa chair, prendre une teinte mortelle sous ses yeux fatigués et ternes. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas eu une vraie nuit de sommeil ? Riley ne sait plus. Elle hausse les épaules, pince ses joues pour leur donner une couleur un peu plus agréable avant de se détourner de son reflet. Rien n'y fait, l'épuisement a raison de son corps. Sans doute est-ce du au chiffre cinq implanté au dessous de son sein gauche qui lui rappelle qu'elle a déjà perdu la moitié de ses vies depuis qu'elle joue à ce jeu. Cela aurait du l'alerter, mais l'adrénaline, cette drogue puissante qui s'infiltre dans ses veines à chaque fois qu'elle est là-bas, est plus forte que la raison. La réalité est devenue virtuelle désormais. Même son ambition de devenir chirurgienne pédiatrique ne fait plus le poids face à ce qu'elle ressent lorsqu'elle est dans le Darwin's Game. Elle y trouve même la mort plus jolie, pas comme les abominables massacres qui se déroulent à Chicago. Attaquer un lycée, tuer des gamins, son cœur se compresse dans sa poitrine. Elle pense à Mera, à sa petite sœur parmi les victimes.

La blonde soupire, secoue la tête pour chasser ses sombres pensées. Un instant, elle hésite à retourner sur le jeu, oublier ces tragédies, mais ses yeux se posent sur une photographie. C'était le temps du bonheur, lorsque la maladie n'avait pas fait son œuvre, lorsqu'elles étaient encore amies. Les trois mousquetaires. Alors sans réfléchir, elle sort de l'appartement et se rend à l'hôpital pour la voir, pour lui tenir compagnie, pour la faire sourire et rire. Ses pieds frôlent le sol blanc si familier tandis qu'elle salue le personnel hospitalier, d'un sourire, d'un geste de la main, d'un hochement de tête. Riley se sent presque légère jusqu'à ce qu'elle croise ce regard. Ava. Elle serre les dents, fronce les sourcils, s'approche de celle qui fut un jour sa meilleure amie, se forçant à lui adresser un mot gentil. « Elle est partie en soins, c'est ça ? Y'a longtemps ? ». Son regard se détourne de cette tête brune qui la fuie, cherchant la confirmation d'une infirmière ou de n'importe quel personnel qui pourrait se rendre utile, avant de soupirer. « Je vais l'attendre aussi. ». Elle s’assoit à une chaise d'écart d'Ava, ne souhaitant pas commencer aussi vite les hostilités alors même que son attitude démontre le contraire par cette action. Après tout, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, c'est bien le comportement d'Ava qui a généré cette situation importune, Riley ne fait que la subir depuis.