La pluie ruisselait sur son visage doucement alors qu'il avançait dans la forêt. Ses bottes s'enfonçaient dans les renfoncements boueux aux odeurs d'eau stagnante. Les feuilles collaient à ses vêtements et ses vêtements étaient totalement trempés mais cela ne le dérangeait pas particulièrement. De toute façon, il ne pourrait plus rien faire à ce propos avant que le soleil ne revienne ou qu'il se reconnecte plus tard. Mais en fait, il n'avait pas envie de s'isoler et de se trouver un coin sec, il était en traque. Il avait aperçu une joueuse il y a de ça deux minutes. Une jeune femme aux cheveux foncés et longs et au visage anguleux mais fin. Il ne l'avait jamais vu dans le camp CAHO et du coup, il partait du principe qu'elle était dans une des autres équipes. De toute façon, vu son équipement et la manière dont elle se déplaçait, elle devait être sur le jeu depuis quelques temps. Ses mouvements étaient agiles et elle semblait bien savoir se repérer dans la forêt. Ses muscles ne semblaient pas encore totalement meurtris par les blessures et ses tendons n'étaient pas rouillés par la pratique trop intense de la guerre. Ces jeunes avaient de la chance, finalement... Liam aurait pu être incroyablement arrogant et considéré qu'en tant que vétéran, il avait l'avantage... Mais les batailles dans la jungle contre des enfants soldats au Congo lui avait appris quelque chose : la rapidité et l'endurance étaient des armes tout aussi efficaces que l'expérience et les réflexes. Ce que les jeunes n'avaient pas en savoir, ils le compensaient avec leur célérité.

Il avait gardé ses distances, le temps de savoir si la jeune femme était seule ou accompagnée. Les autres teams se déplaçaient beaucoup plus en groupe ou en duo alors que chez les CAHO, la notion de protection mutuelle était quelque chose de flou. Surtout, certains de ses coéquipiers trouveraient certainement à redire s’ils étaient ralentis dans leur course au massacre. Liam le comprenait et sortait souvent, lui aussi, seul. La jeune fille se déplaçait rapidement et l'homme était à présent sûr qu'elle n'était pas accompagnée. Il devait rapidement essayer de la tuer car on ne savait jamais si quelqu'un allait débarquer pour l'aider, l'attaquer lui ou les attaquer tous les deux. Il décida alors de s'approcher au plus près et finit par pointer son fusil. Il l'avait chargé quelques mètres avant car il n'était pas équipé d'une arme particulièrement silencieuse. Il se tassa contre un arbre. Dès que la première balle serait partie, elle saurait immédiatement où il était : il n'avait pas non plus de silencieux sur son canon.

Puisqu'il fallait encore qu'elle se traîne. Elle s'était pourtant lassée de voir son corps heurter les leurs immobiles, dans l'espoir de les persuader de la violence dans laquelle elle existait. Qu'est-ce qu'elle aurait aimé savoir comment devenir naïve, impuissante face à la paralysie de cette vie végétative. Se résoudre à vivre dans ce déni convenu, sans jamais remettre en question le moindre de ses pas. Oui, elle aurait tant voulu savoir comment chasser les pensées trop bruyantes à coup de discours emprunts de conviction. Cesser d'exister comme le surplus, comme celle qui n'avait pas su faire l'effort de surpasser le mal-être. Devenir l'une de ceux qui étaient dignes d'être admirés.

Marcher. Prétexter la chasse pour se retrouver seule avec la chaleur de son souffle et le son de ses pas. Ça sonnait comme une bonne alternative. Et puis c'était devenu une sorte de réflexe ; se perdre physiquement pour espérer retrouver le fil de ses pensées. Toutefois, elle ne pouvait s'empêcher de trouver quelque chose d'exagérément optimiste à l'idée de pouvoir capturer son épiphanie à travers de nouveaux décors, surtout lorsqu'il ne s'agissait que ceux d'un jeu. Le Darwin's Game l'avait-il seulement déjà aidée ? Ou était-ce simplement l'occasion de se laisser bercer par l'illusion d'avoir une nouvelle chance ?

La pluie était survenue assez naturellement, précédée par le vent froid qui s'était engouffré dans ses manches. Les gouttes perlaient sur le cuir de sa veste sans qu'elle n'y attarde son regard, trop occupée à avancer, à se perdre. Et malgré l'état instable de ses pensées, Ciara n'avait aucun mal à contrôler le flux de sa respiration. Sa passion pour le tir restait la certitude qui lui servirait de repère. Une main gantée frôlant régulièrement l'arme glissée à sa ceinture, les yeux rivés sur les recoins de chaque sculpture végétale, elle cherchait quelque chose qui viendrait ruiner le calme apparent. Un moyen de se débarrasser de tout ce poids, décharger sa peine d'existence sur celle d'un autre, une bonne fois pour toute. En finir, et cesser de s'en vouloir, cesser de se demander si elle méritait sa place parmi ces gens, ou si elle aurait la force de soutenir le regard d'Isaÿr, lorsqu'il se poserait à nouveau sur elle.

La jeune femme semblait pensive mais avançait à un très bon rythme. Les CAHO ne s'attardaient pas souvent sur les relations ou les histoires personnelles de chacun. On était ici pour tuer et anéantir les autres teams et cela s'arrêtait souvent à ça. Mais Liam, que ce soit dans le jeu ou dans la guerre, avait toujours eu cette pensée qui lui songeait à ce que faisaient ses victimes dans leurs vies... Quel foyer avaient-ils quitté pour se retrouver là, devant lui ? Quelle histoire les avait porté jusqu'au bout de son fusil et quelles faits les avaient poussé à s'engager dans un conflit ? Dans bien des guerres qu'il avait vu, les réponses étaient aussi simples que compliquées selon l'angle sous lequel on prenait les choses. Que ce soit la force des choses ou la volonté de changer son quotidien, il pouvait respecter à peu près tout ses adversaires.

Dans Darwin's Game cependant, il n'avait pas face à lui des militiens, des groupes de défence ou des soldats. Il avait généralement des jeunes gens qui n'avaient jamais vraiment été en contact avec la guerre, la vraie. Celle d'où on ne revient pas, jamais. Celle qui est dégueulasse et dont le sang colle à votre peau. Pas de déconnexion, pas de portes de sortie et pas de retour possible. Une seconde après que cette pensée soit passée, il tira dans sa direction.

La balle alla droit sur elle et ne l'épargna pas. Il avait fait un tir parfait. En même temps, il l'avait prit par surprise et il la suivait depuis un moment. Buster n'avait aucune raison de ne pas réussir son tir. Par contre, maintenant qu'elle se savait chasser, il était aussi possible qu'elle réplique au centuple et fasse regretter au CAHO d'avoir choisit une telle proie.

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